Enfants et cancer - Leçons de vie
Enfants et cancer - Leçons de vie
Jean-Marie Montali - Avec l'aimable autorisation du Figaro Magazine
Jean-Marie Montali - Avec l'aimable autorisation du Figaro Magazine
- Quand elle est inconsciente, dit-elle, elle ne souffre pas. Alors je suis contente. Vous savez, le jour où j'ai appris qu'elle était malade, j'ai pensé que ce n'était vraiment pas juste. C'est une chose terrible que d'être obligée d'accepter ça. Depuis ce jour, plus rien d'autre ne compte que ma petite fille : j'ai arrêté de travailler pour rester avec elle et pour l'accompagner jusqu'à ce qu'elle parte. Mais ce jour-là, je voudrais qu'on soit à la maison, pas à l'hôpital.
Un silence, le temps d'une caresse sur le visage endormi. Et puis :
- Je ne peux pas me plaindre. Elle a été heureuse, finalement : elle a été hospitalisée le 27 octobre de l'année dernière. On lui a donné le droit de se battre, et de vivre un an debout. Ici, c'est d'abord la vie, et je leur serai éternellement reconnaissante pour ça.
Ici, c'est le cinquième et dernier étage de l'Institut Curie, rue d'Ulm, à Paris. C'est l'étage du service de pédiatrie oncologique. L'étage des enfants cancéreux. Un long couloir, encombré de tricycles et de jouets, les murs tout bariolés de dessins d'enfants, et des portes roses : cannelle, baobab et pirouette, capucine, berlingot et vanille, toutes les chambres portent un nom. Il y a une vingtaine de chambres. Le visiteur, pâle comme un mouchoir du dimanche, croise un enfant, criblé d'aiguilles et de perfusions, qui tire derrière lui une potence mobile en tapant dans un ballon de mousse jaune et noir.
- Salut !
L'attelage glisse en silence, dépasse un billard électronique, contourne des fauteuils où sont vautrés quelques ours en peluche puis ralentit, le temps que l'enfant attrape une cassette vidéo sur une étagère, et tourne enfin, là où le couloir fait un coude, vers la salle de jeux. C'est une grande pièce, dont les baies vitrées donnent sur une terrasse d'où l'on peut voir la tour Eiffel et la tour Montparnasse. Trois gamins perfusés jouent avec Corinne Fel au milieu des jouets épars, des puzzles et des livres qui grimpent jusqu'au plafond. Corinne est l'éducatrice responsable de cette salle.
- Ce n'est pas seulement un lieu de plaisir où les enfants oublient leur maladie, dit-elle. Pour eux, venir ici jouer avec d'autres et participer aux différents ateliers permet de rompre l'isolement lié à la maladie et de continuer ainsi une vie sociale.
Le visiteur file, incapable de soutenir le regard de ces enfants malades qui savent déjà tellement ce qu'est la souffrance.
Le bureau de Jean Michon est à peine plus grand qu'une cabine téléphonique. Le Dr Michon est le patron du service de pédiatrie oncologique de l'Institut Curie, créé il y a vingt-cinq ans par le Pr Jean-Michel Zucker.
L'Institut Curie est une fondation privée reconnue d'utilité publique en 1921, dont le service des enfants cancéreux traite chaque année environ 200 petits malades. Il existe en France 34 unités de ce type, fonctionnant toutes sur le même modèle. Et chaque année en France, presque 2 000 enfants et adolescents, âgés de 0 à 18 ans, sont atteints de tumeurs malignes. Tumeur maligne ? Le cancer. Des enfants ont le cancer.
- C'est une maladie « pas d'chance » dont personne n'est responsable, précise le Dr Michon, et qui est due à la multiplication de cellules nées à partir d'une anomalie brutale sur un gène constitutionnel.
Pour dire les choses clairement, personne n'est responsable des cancers provoqués par les tumeurs solides (deux tiers des cancers de l'enfant) ou liquides (la leucémie, par exemple). Il existe ainsi, en ce qui concerne les tumeurs solides, de 30 à 40 diagnostics différents en fonction de la localisation et du type de tissus atteints. Mais les cancers héréditaires sont exceptionnels, et ne concernent qu'une petite partie des rétinoblastomes (tumeurs embryonnaires de la rétine). Il n'existe pas non plus d'étude sur le rôle des facteurs environnants dans le développement de la maladie. La seule chose dont on est sûr, c'est que les parents n'en sont pas, n'en sont jamais responsables.
- Et pourtant, explique Michèle Delage, psychologue clinicienne à Curie depuis dix-sept ans, les parents culpabilisent presque toujours lorsqu'ils apprennent le mal de leur enfant. D'ailleurs, en parlant du diagnostic, beaucoup de parents parlent du « verdict » et disent que le «couperet est tombé », comme s'ils avaient une faute à payer.
Dans son bureau – que les enfants ont baptisé le « bureau des secrets » –, Michèle Delage est là pour écouter les parents, mais aussi les enfants qui soudain comprennent qu'ils ne sont pas invulnérables et qu'ils peuvent aussi mourir. Dans une telle situation, l'importance thérapeutique de l'aide psychologique est indiscutable. Car tous, bien sûr, se posent la question que le visiteur ose à peine formuler :
- Un enfant cancéreux peut… Enfin, est-ce qu'il a des chances de guérir, de s'en sortir indemne ?
- Mais bien sûr, répond le Dr Michon. Des progrès considérables ont été réalisés. Les jeunes réagissent très bien aux traitements tels que la chimiothérapie, et aujourd'hui le taux de guérison des cancers de l'enfant est d'environ 75 %.
Trois gamins sur quatre donc guérissent. Mais le quatrième… Le cancer est aujourd'hui encore la deuxième cause de mortalité chez les enfants et les adolescents de moins de 15 ans. Mais à l'étage pédiatrique de l'Institut Curie, on ne parle pas de la mort. Jamais. On dit parfois qu'un enfant « part », tout simplement. Et lorsqu'il guérit, il « quitte » l'hôpital. Dans cette maison, on aime la vie, et c'est pour elle qu'on se bat en refusant toujours de croire qu'un cas est désespéré. La règle, c'est qu'un enfant, même malade, reste un enfant avec cette formidable envie de vivre.
- On peut donc en sortir intact et vivre normalement après avoir été traité pour un cancer ?
- Demandez-le lui, elle vous répondra.
Une très jolie jeune femme, 25 ans peut-être, est là, entourée de quelques infirmières. Il y a une dizaine d'années, elle a été soignée ici pour une tumeur. Aujourd'hui, elle vient présenter son fils, né au début du mois d'août. La vie, donc.
Alors, le visiteur reprend des couleurs et se sent assez de courage pour retourner dans le couloir. Ce couloir qu'arpentent des enfants toujours habillés, jamais en pyjama, parce qu'on ne se promène pas dans la vie en pyjama. Malades du cancer ? Et alors !
Ici, on ne respecte que la vie des enfants, et tout est fait pour la préserver. Des clowns et des musiciens viennent même régulièrement à Curie pour les distraire. Les petits cancéreux vivent, ils jouent et… vont à l'école. C'est une petite classe médicalisée qui peut accueillir six élèves et dont l'objectif est de les maintenir à niveau.
- C'est aussi un bon moyen pour que les petits hospitalisés ne soient pas coupés du monde extérieur, explique l'enseignante, Bénédicte Sylvestre. L'école, c'est la vie sociale des enfants, c'est un repère très important, d'autant qu'on essaie de sauvegarder les liens avec leur établissement d'origine. Mais bien sûr, ici, l'acte d'aller en classe est volontaire. Mais on considère qu'un enfant en âge scolaire doit aller à l'école si son état de santé le permet.
Des cours particuliers sont également dispensés par des enseignants volontaires aux malades qui ne peuvent pas quitter leur chambre. C'est qu'on pense à l'avenir, quand, une fois guéri, il faudra bien retourner à l'école… Et c'est de l'avenir encore dont parlent les enfants, à l'image de la jolie Cécile, qui, à 15 ans, sait déjà ce qu'elle fera plus tard.
- Chirurgien ! C'est important de soigner les autres.
Mais à l'Institut Curie, le plus extraordinaire ce ne sont pas ces bruits tellement étranges pour un hôpital, ces rires ou cette musique, ni même cette odeur de gâteaux qui, chaque mercredi – le jour de l'atelier pâtisserie –, chatouille l'appétit des enfants. C'est la tendresse. Cette infinie tendresse qui secoue l'âme du visiteur et que l'on perçoit à chaque instant. L'amour des parents bien sûr, qui viennent quand ils le veulent et sacrifient souvent leur emploi du temps pour rester auprès de leurs enfants. Mais aussi celui du personnel soignant. Il faut entendre parler Françoise Henry ou Delphine d'Hérouville, infirmières puéricultrices principales, il faut écouter Dominique Nezan et toutes les autres infirmières parler des enfants pour comprendre à quel point ces gens sont solides et avec un cœur gros comme ça. Il faut voir Armelle Lapous, l'une des auxiliaires puéricultrices, prendre un enfant malade dans ses bras avec des gestes d'une douceur inouïe, il faut la voir encore embrasser une maman pour comprendre qu'au cinquième étage de l'Institut Curie, l'amour aussi fait partie de la thérapie.
Photo(s) © Eric Bouvet
Source : http://www.curie.fr/home/presse/jic_article.cfm/lang/_fr/jic_article/221.htm
Cet article se passe de commentaires, le lire remet les idées en place, relativise nos petits bobos et surtout nous donne foi.
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